Article de l'Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII) : URL originale
--> [ Nouvelles | Brouillon de lettre | MEDEF | Sueur | Nguyen | Ministres français au Conseil du 2004-05-18 | Communiqué de presse de la FFII ]
Le Mouvement des entreprises de France (Medef) vient de rendre public un « Manifeste pour le brevet », sensééclairer les entreprises françaises sur les bienfaits économiques et sociaux du système de brevets. Lorsque l'on connaît le pouvoir d'influence que ce syndicat patronal possède auprès du gouvernement français actuel, il nous a paru urgent d'éclaircir ces positions à la lumière des diverses analyses produites sur le sujet des brevets dans le domaine du logiciel.
http://www.medef.fr/staging/site/page.php?pag_id=23548
Réussir la réforme du système européen des brevets pour stimuler l'innovation À travers ce manifeste, le MEDEF entend faire partager ses convictions sur la vocation, les vertus et l'utilitééconomique et sociale du brevet. Il s'agit d'éclairer les entreprises, leurs représentants et les pouvoirs publics sur : · L'importance des brevets pour la dynamique de l'innovation, · Le nécessaire renforcement de la confiance des entrepreneurs dans le système européen des brevets, · Les améliorations à apporter pour éviter les dérives.
En ce qui concerne les brevets logiciels, le Parlement européen partage ces objectifs de clarification, d'harmonisation et de sécurité juridique. Le 24 septembre 2003, il a amendé la proposition de directive en ce sens. Si la Commission européenne, la commission parlementaire à la Justice (JURI) et le Conseil de l'UE ont également déclaré poursuivre ces mêmes objectifs, l'analyse de leurs propositions a montré qu'elles conduiraient à des résultats exactement opposés. Il importe donc d'analyser scrupuleusement comment le Medef propose d'atteindre ces objectifs.
Apparement la « conviction » des entrepreneurs dans le système de brevets a aujourd'hui besoin d'être « renforcée ». Qui sont donc ces membres du Medef, qui veulent partager leur « convictions » avec les entrepreneurs ?
Il existe un lien étroit entre les brevets, la recherche et l'innovation. Indicateur privilégié du niveau de performance des pays en matière de recherche-développement, le brevet est surtout un outil de conquête des marchés et un fondement solide pour des partenariats technologiques avec d'autres entreprises ou des centres de recherche publics. Comme le soulignait Claudie Haigneré, ancienne ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, «le développement des brevets assure une indépendance scientifique et technologique à l'échelle de notre nation, indépendance qui est le garant de notre développement économique. (...) Il permet de valoriser les résultats de la recherche, de transférer les connaissances produites par les chercheurs pour les transformer en applications et les mettre à la disposition de chacun». [ 1 ]
Ces affirmations manquent de clarté. Il est certes inévitable que le brevet soit « lié à la recherche et l'innovation », mais cela ne signifie pas que le système de brevets stimule celles-ci. La littérature en recherche économique donne très peu de preuves permettant de soutenir ce propos, sauf dans quelques domaines comme celui de la pharmacie.
Un simple examen de la répartition par pays des brevets logiciels acceptés par l'Office européen des brevets montre d'ailleurs aisément, qu' une légalisation de la brevetabilité du logiciel menacerait sérieusement l'indépendance et le développement économiques des entreprises informatiques européennes.
Devenues grandes causes européennes et nationales, la recherche et l'innovation sont considérées comme les principaux ressorts de la croissance des pays européens et de la France en particulier. Ce n'est, en effet, qu'à partir de produits à forte valeur ajoutée que les économies françaises et européennes pourront maintenir leur rang dans la compétition mondiale.
Ce texte porte à confusion sur plusieurs aspects:
Le développement de logiciels a existé bien avant l'instauration de brevets dans ce domaine et la valeur ajoutée des logiciels produits n'a pas souffert de l'absence d'un système de brevets logiciels. A contrario, de nombreuses études (voir le rapport de la Federal Trade Commission ou les travaux de Research on Innovation) ont montré que la qualité de l'innovation logicielle avait décru dans les pays (l'exemple le plus flagrant étant les États-Unis) où les brevets logicels sont aujourd'hui légaux.
Vouloir faire entrer l'Europe dans l'économie de la connaissance suppose une politique globale d'innovation dont tous les rouages doivent jouer un rôle d'entraînement déterminant pour en obtenir la performance attendue. La propriété intellectuelle est l'un des principaux rouages d'un système de recherche et d'innovation efficace et, dans la panoplie d'outils qu'elle propose aux inventeurs et innovateurs, le brevet joue un rôle clé. La dynamique de l'innovation ne fonctionnera pas à plein régime sans une pleine utilisation du brevet. Dans l'histoire industrielle, la grande majorité des succès entrepreneuriaux ont reposé sur des innovations brevetées. Aujourd'hui encore, de nombreux directeurs de recherche et développement considèrent que 60 % des innovations de leur secteur n'auraient pas vu le jour sans la possibilité de les breveter. [ 2 ]
Justement, l'économie de la connaissance se base sur des règles fondamentalement différentes de celles appliquées dans l'histoire industrielle. Les biens immatériels de la connaissance sont par nature non excluables (à partir du moment où une connaissance est mise à disposition de certains agents, il est difficile d'en interdire l'usage à d'autres), non rivaux (la connaissance ne se détruit pas dans l'usage, il n'y a pas de rivalité entre les consommateurs) et cummulatifs (la connaissance est le facteur principal de la production de nouvelles connaissances, autrement dit : le stock de connaissances intervient directement dans la production de connaissances nouvelles). Ainsi la valorisation d'une connaissance ne découle pas de sa rareté mais au contraire de sa diffusion et de la possibilité d'y accéder.
Si le brevet joue un rôle clef, c'est parce qu'il est associé à de vastes pouvoirs d'exclusion auxquels les autres outils juridiques ne se prêtent pas. Si l'on pouvait obtenir un monopole sur l'eau chaude, un tel monopole jouerait aussi un « rôle clef » dans l'économie. Cela ne prouve en rien que des monopoles de tel ou tel type stimulent l'innovation dans une « société de connaissances ». Il y a des sociétés pharmaceutiques qui ne produisent que des médicaments brevetés. Il ne serait pas surprenant que les directeurs de recherches dans de telles sociétés déclrent que 100% de leurs innovations dependent du brevet. Dans d'autres sociétés, notamment informatiques, un taux de 0% est plus normal. Tout cela ne prouve rien sur les effets macro-économiques du système.
Dans ce domaine, l'Europe ne cesse de décrocher non seulement par rapport aux Etats-Unis qui affirment leur domination technologique en s'appuyant sur un large recours au brevet, notamment dans les nouvelles technologies, mais aussi par rapport à des puissances émergentes de l'Asie du Sud-Est.
On peut opposer à ce constat, le dynamisme dont font preuve les pays européens dans les innovations apportées par les logiciels libres.
Au sein même de l'Europe, la position de la France s'effrite avec environ 6 % des brevets européens, une part en diminution régulière depuis plusieurs années, et deux fois plus faible que celle de l'Allemagne. Les PME y sont par ailleurs sous-représentées.
... alors que les PME sont les principaux innovateurs en matière de logiciel...
Le brevet, arme économique dans la compétition mondiale, reste insuffisamment utilisé par les entreprises françaises qui sont découragées par les coûts d'accès, la longueur des procédures, les difficultés pour défendre efficacement leurs droits devant les tribunaux. Chacun de ces obstacles fait l'objet de propositions d'améliorations en débat depuis plusieurs années, comme, par exemple, la baisse des coûts de traduction à travers l'Accord de Londres ou l'unification du système judiciaire en matière de brevets européens. La volonté politique de faire aboutir ces projets, pourtant dans la droite ligne des engagements pris aux sommets européens de Lisbonne en 2000 et Barcelone en 2001, est cependant affaiblie par un climat général de méfiance, sinon de rejet, à l'égard de la propriété intellectuelle en général et du brevet en particulier. Son utilitééconomique et sociale est contestée, comme en témoignent quelques titres chocs relevés récemment dans la presse : «La propriété intellectuelle, c'est le vol» ou encore «Les brevets tuent». Le système est ainsi accusé de freiner la recherche, de brider l'innovation, de bloquer la diffusion de l'information et le partage des connaissances.
Concernant les brevets logiciels, les études économiques, y compris celles commandées par la Commission européenne, ont montré qu'effectivement l'imitation devient un coup de fouet pour l'innovation, alors que des brevets forts deviennent un obstacle.
Le MEDEF est au contraire convaincu que la vocation même du brevet est de favoriser la recherche et l'innovation et d'accélérer la diffusion et le partage des connaissances. Les entrepreneurs conservent toute leur confiance dans les fondamentaux du système des brevets qu'il faut défendre par la mise en oeuvre des améliorations depuis longtemps à l'examen et la prévention de dérives dans la gestion de l'octroi des brevets. Au moment où les entreprises sont invitées à doubler leur effort d'investissement en recherche et développement pour permettre à notre pays d'atteindre l'objectif de 3 % du PIB consacré à l'investissement dans ce domaine, le MEDEF souhaite peser davantage dans les débats en cours et insister sur les vertus du brevet pour relever le défi de la croissance par l'innovation.
Pourtant les investissements en R&D diminuent lorsque les entreprises informatiques sont obligées de détourner leur argent vers un système de brevets logiciels, comme le remarque Pierre Haren, PDG et fondateur d'Ilog : « La généralisation du brevet logiciel a pour effet du point de vue des éditeurs de logiciels de distraire des ressources de l'amélioration des produits vers la veille juridique et l'activité contentieuse. »
[ 1 ] Allocution de clôture du colloque «Le brevet» au grand amphithéâtre de la Sorbonne le 5 février 2004. [ 2 ] Article «Propriété intellectuelle: stratégies d'entreprises et politiques publiques» dans la revue Problèmes Economiques du Commissariat Général du Plan, 5 mars 2003
La société accorde des brevets à ceux qui, par leurs innovations, contribuent à l'accroissement des connaissances techniques et au développement de nouveaux produits et services. En accordant ces brevets, la société reconnaît et assure aux innovateurs une exclusivité temporaire pour l'exploitation commerciale de leurs innovations en contrepartie de la divulgation publique de ces innovations. Celui qui enfreint cette exclusivité commet le délit de contrefaçon. Voilà ce qui fait l'essence même du système des brevets. La valeur du brevet pour celui à qui il a été accordé dépend essentiellement de la valeur de l'innovation pour la société. Si l'exploitation, directement par l'innovateur lui-même, ou indirectement par des entrepreneurs auxquels des licences d'exploitation auront été confiées, est un succès commercial, l'innovateur en tirera profit. Sinon, il n'aura droit à rien. Le fondement même du système des brevets réside dans cet échange entre la société, qui a besoin d'avoir des entreprises innovantes consacrant du temps et de l'argent à la recherche-développement, et l'entreprise, qui a besoin d'une perspective de rentabilité pour ses investissements en recherche et développement.
Nous sommes tout à fait d'accord avec ce principe fondateur du système de brevets : en échange d'un encouragement à l'innovation, la société accepte d'accorder un monopole privatif aux inventeurs. Ainsi que l'octroi de brevets a été défini par Thomas Jefferson dans la constitution des États-Unis, encore faut-il que cette exception soit bénéfique pour la société dans son ensemble...
De plus, ce « principe fondateur » est plutot un « mythe fondateur », que Machlup appelle la « théorie du contrat » (Vertragstheorie). L'explication de ce mythe par le Medef est contestable : il joue avec l'expression « valeur du brevet pour la société» qui peut prendre deux significations :
Par exemple, le brevet Acacia a une énorme valeur selon le deuxième sens mais peu selon le premier et il y a plus ou moins ce probleme dans la plupart des brevets aujourd'hui. En mélangant les contributions des deux côtés, le raisonnement du Medef abolit en effet la « théorie du contrat » et, à la place, fait la propagande d'une notion de brevet comme « arme stratégique », où la privation de liberté par le brevet n'a plus besoin de justification par un contrat social. Ce qui serait d'ailleurs acceptable, si cela stimulait l'innovation. Mais les théoriticiens du Medef ne veulent pas trancher entre théorie du contrat et « théorie de stimulation » (Anspornungstheorie), parce qu'ils veulent le brevet pour le brevet, même sans mythe de contrat et sans effet stimulant.
Parce que la contrepartie de l'exclusivité d'exploitation de l'innovation brevetée est la divulgation publique de celle-ci, l'information technique correspondante est mise à la disposition de l'ensemble de la communauté des chercheurs, publics ou privés, individuels ou en entreprise, dès la publication de la demande de brevet, c'est-à-dire avant même que le brevet soit accordé. Les publications de brevets constituent une bibliothèque technologique d'une richesse sans pareille, qui est aujourd'hui accessible gratuitement dans son intégralité par Internet et qui est dotée d'outils permettant des recherches efficaces, y compris pour des utilisateurs non spécialistes.
Pour le logiciel, le jargon juridique employé dans la rédaction des brevets logiciels les rend inutilisables comme littérature technique, même pour un homme de l'art (on entend par là, un programmeur informatique, pas un spécialiste en droit des brevets !). La connaissance du code source d'un logiciel, les spécifications des protocoles d'échange ou des formats des données sont ici bien plus utiles. Il est à noter d'ailleurs, que de nombreux brevets ont été déposés sur les techniques de recherche d'informations sur Internet. Ainsi, l'accessibilité gratuite de cette « bibliothèque technologique d'une richesse sans pareille » deviendrait impossible si les détenteurs de ces techniques brevetées décidaient d'appliquer leurs droits en réclamant une redevance aux sites web de recherche mis à disposition par les Offices de brevets.
En Europe, les recherches qui s'appuient sur cette information et ce savoir pour poursuivre plus loin l'exploration d'une technologie ou pour développer des technologies concurrentes sont parfaitement libres. Le brevet ne réserve que l'exploitation commerciale de l'innovation, pas son utilisation à des fins de recherche ou même d'expérimentation.
Pourtant, la directive sur les brevets logiciels, telle que proposée par la Commission européenne et le Conseil de l'UE, interdit la liberté de publication, ce qui entrave la recherche sur des techniques logicielles brevetées.
L'hypothèse parfois avancée de brevets bloquant toute évolution technologique est largement un mythe. Le domaine de la normalisation en fournit des exemples éloquents. Une technologie qui n'est pas rendue disponible à des conditions raisonnables et non-discriminatoires ne sera pas retenue et la norme s'appuiera sur des technologies concurrentes.
Le problème en informatique, tout comme en mathématiques (le professeur Donald Knuth a d'ailleurs démontré la similitude entre les deux disciplines), se pose lorsque des éléments fondamentaux sont brevetés. Il est parfois impossible de se passer d'un algorithme fondamental et de trouver une solution concurrente. Cela reviendrait à devoir se passer des opérateurs d'addition ou de multiplication si ceux-ci étaient brevetés : toutes les bases des mathématiques seraient alors à réinventer (si tant est que cela soit possible) !
Dans les cas extrêmes où le jeu des mécanismes économiques ne suffirait pas, le système des brevets prévoit la mise en oeuvre de licences obligatoires. Si le breveté n'exploite pas l'innovation, ou pas suffisamment au regard des besoins de l'économie, sans justes raisons, le brevet peut être mis par simple arrêté ministériel au régime de la licence obligatoire dans lequel toute entreprise qualifiée peut être autorisée à exploiter l'invention moyennant une rémunération du breveté, négociée à l'amiable ou fixée par le juge. Si les conditions de l'exploitation ou l'absence de celle-ci posent un problème de santé publique, c'est un régime de licence d'office, là aussi par simple arrêté ministériel, qui peut être appliqué selon des mécanismes voisins. Mieux encore, celui qui a breveté un perfectionnement substantiel à une invention brevetée antérieurement par un autre peut obtenir une licence pour pouvoir exploiter la technologie ainsi perfectionnée. Ces mécanismes légaux, pour rare que soit leur mise en oeuvre, jouent un rôle important dans la vie des affaires car leur existence même est une forte incitation pour les entreprises à trouver des arrangements à l'amiable, plutôt que de s'en remettre aux pouvoirs publics.
Alors que le développement de logiciels peut se faire à des coûts marginaux quasi nuls, l'acquittement de licences priverait nombre d'entrepreneurs de cette facilité dans l'industrialisation de leurs innovations. Il est pour le moins étrange que le Medef ne s'oppose pas vigoureusement à un obstacle limitant la création d'entreprise, comme s'avère l'être un système de brevets logiciels.
Pour les entreprises, le brevet est l'outil privilégié pour la recherche de nouveaux marchés et constitue la base des transferts de technologies.
En informatique, la conquête de nouveaux marchés et les transferts de technologies sont bien plus efficients lorsqu'on se base sur la coopération, la recherche d'alliance ou la participation à des organismes de standardisation.
La grande majorité des brevets ayant un véritable potentiel d'exploitation font l'objet d'accords de licences. La raison en est que l'intérêt du breveté -le profit qu'il peut tirer de son brevet-, est directement lié à l'exploitation qui en est faite. Certes, il pourra se réserver cette exploitation dans certaines zones géographiques mais, pour accroître sa rémunération, il aura recours à une exploitation par des licenciés dans les pays où il ne peut commodément ou efficacement exploiter lui-même. C'est ce mécanisme qui est à la base du plus grand nombre de transferts de technologie entre entreprises, entre pays, entre continents. De tels transferts de technologie sont efficaces et productifs lorsque la technologie de base est protégée par brevet, alors qu'ils sont plus aléatoires, donc beaucoup moins courants, en l'absence d'une telle protection. Dans ce cas, en effet, le besoin de recourir à des accords complexes de confidentialité et à des mesures de sécurité contraignantes décourage les entreprises d'examiner les offres de coopération et d'envisager des investissements dans le développement et la mise sur le marché d'innovations proposées.
Pour le logiciel, les accords de licences croisées bénéficient largement aux grandes entreprises qui détiennent de larges portefeuilles de brevets et emploient d'imposantes équipes juridiques, au détriment des PME. Par exemple, IBM grâce à son énorme portefeuille de brevets, a admis gagner dix fois plus de royalties en ayant l'autorisation d'exploiter les brevets logiciels d'autres entreprises qu'avec les royalties perçues directement sur ses propres brevets. Cela signifie que l'imposant portefeuille de brevets logiciels d'IBM lui permet de facilement négocier des licences lui autorisant l'utilisation des idées brevetées par d'autres entreprises. Mais cette stratégie s'avère impossible pour une petite entreprise. Notons au passage, que sans sa possibilité de négocier ces accords avantageux, le système de brevets logiciels aurait été dix fois plus préjudiciable à IBM qu'il ne lui aurait rapporté.
Tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, le système européen des brevets ne remplit qu'imparfaitement la tâche que lui avaient assignée ses pères fondateurs au début des années 1970. À l'initiative de la France, une conférence inter-gouvernementale tenue à Paris en juin 1999 a ouvert la voie à un certain nombre de mesures correctives destinées à revenir à l'esprit initial du texte de 1973 (Convention de Munich). Par ailleurs, la Commission a relancé en août 2000 le projet complémentaire de création d'un brevet communautaire, dérivé du brevet européen dans son mode d'obtention mais complétant celui-ci par l'institution d'un système judiciaire communautaire pour unifier ses effets sur l'ensemble du territoire communautaire. La Commission a également pris des initiatives pour clarifier les conditions dans lesquelles le système prend en compte l'évolution technologique, que ce soit dans le domaine de l'informatique ou dans celui des biotechnologies. Ces projets, conformes aux grands objectifs qui ont présidé à la mise en place du système européen des brevets, ont été vigoureusement soutenus par le MEDEF et le reste de l'industrie européenne. Il est navrant de constater que cinq ans plus tard aucune des propositions faites n'a reçu de commencement d'application, notamment en France, et qu'au contraire les administrations nationales multiplient les obstacles de toute nature.
Il est également important de rappeler que dans les « grands objectifs qui ont présidé à la mise en place du système européen des brevets », la Convention sur le brevet européen de 1973 stipule que les méthodes mathématiques, les méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles ou dans le domaine des activités économiques, les programmes d'ordinateurs, les présentations d'informations, etc. ne sont pas des inventions au sens du droit des brevets. Il y a une raison logique à cela : dans la tradition du droit, les brevets ont toujours porté sur des applications concrètes des sciences naturelles (« inventions techniques »), tandis que les brevets logiciels couvrent des idées abstraites. Ainsi, en tant qu'oeuvre de l'esprit, le logiciel est traditionnellement couvert par le droit d'auteur, comme le sont les oeuvres musicales ou littéraires. Or l'Office européen des brevets, en contradiction avec la lettre et l'esprit de la loi, a d'ores et déjà accordé des dizaines de milliers de brevets logiciels. Nous sommes donc tout à fait d'accord avec la volonté du Medef de redonner au système européen des brevets ses grandes lignes directrices.
Le coût d'obtention d'un brevet européen est dissuasif pour nombre d'entreprises innovantes, notamment les PME. La conséquence la plus visible en est que même les entreprises les plus conscientes de l'importance de la protection par le brevet sont souvent obligées de s'en tenir à une protection en France et de ne s'aventurer que plus rarement au niveau européen. Or, aujourd'hui, le marché naturel des entreprises européennes, c'est l'Europe, et l'absence d'une protection appropriée sur ce marché est une faiblesse qui handicape notre industrie.
Heureusement, le marché du logiciel ne souffre pas de cette « absence d'une protection appropriée » : le droit d'auteur est reconnu par la grande majorité des développeurs de logiciels comme étant parfaitement adapté. Qui plus est, l'accession à la protection par le droit d'auteur se fait sans coûts ni délais prohibitifs, contrairement aux brevets.
Une composante majeure de ce coût d'obtention est l'obligation de fournir des traductions du brevet européen délivré dans toutes les langues des pays où la protection est recherchée. Cette obligation de traduction est une absurditééconomique car elles ne servent à rien, comme en témoigne le nombre ridiculement faible des consultations de ces traductions, même dans les pays où elles sont consultables (en France, par exemple, moins de 2 % de ces traductions sont consultées). Or le principe posé par la convention de Munich à l'origine était l'absence de telles traductions. Ce n'est que par le biais de réserves successives que différents pays les ont introduites. L'accord de Londres signé en juin 2001 par la France et ses grands partenaires européens prévoit une réduction massive de l'obligation de traduction mais cet accord, qui vient d'être ratifié par l'Allemagne, n'est toujours pas ratifié en France. La promotion de la francophonie, parfois mise en avant pour s'opposer à la ratification, serait pourtant mieux servie si la littérature technique des brevets était diffusée à l'étranger en français au lieu d'obliger les entreprises françaises à la traduire préalablement en anglais ou dans d'autres langues. Comme le souligne justement l'économiste Jean Tirole : «Mais comme toujours, ces coûts sont peu visibles du public, ce qui permet aux lobbies de défense des langues nationales et de traducteurs de faire maintenir le statu quo». [ 3 ] Une autre source majeure de coût est la longueur et la complexité des procédures européennes. L'Office européen des brevets est engagé dans une action forte à cet égard, mais les résultats ne sont pas à la hauteur des besoins. Il faut en moyenne plus de quatre ans pour obtenir la délivrance d'un brevet européen, alors qu'aux Etats-Unis, il en faut moitié moins pour obtenir un brevet américain. Ces délais excessifs ont un coût : selon les chiffres de la Commission européenne, un brevet européen coûte en moyenne 50 000 EUR, dont 12 000 EUR pour les seules traductions, soit cinq fois plus cher qu'un brevet américain (10 000 EUR) et trois fois plus cher qu'un brevet japonais (17 000 EUR). Mais en outre, pour bien des entreprises, devoir attendre si longtemps pour disposer d'un titre efficace est un handicap majeur dans la compétition internationale. Là encore, la situation aujourd'hui n'est pas conforme aux principes posés à l'origine. L'accroissement sensible du nombre de demandes de brevet déposées chaque année en Europe est sans doute en partie responsable de cet état de fait mais il faut alors donner à l'Office européen des brevets les moyens d'y faire face. Les Etats membres s'orientent malheureusement dans la direction opposée dans les discussions en cours sur la création d'un brevet européen pour la Communauté (le brevet «communautaire»). Il y est envisagé de réduire encore les ressources de l'Office européen des brevets au profit des offices nationaux de brevets et, à travers eux, du budget général des Etats.
Comme nous venons de le montrer, le logiciel protégé par le droit d'auteur ne souffre pas de ces désagréments. On peut rappeler à ce sujet la position de l'UAPME (organisation d'employeurs représentant les intérêts, au niveau européen, de 11 millions de PME employant 50 millions de personnes dans toute l'Europe) qui réaffirmait la préférence des PME du secteur informatique pour le droit d'auteur et la condamnation des brevets logiciels, notamment à cause de leurs effets économiques préjudiciables aux petites et moyennes entreprises.
[ 3 ] Rapport du Conseil d'Analyse Economique de juin 2003 sur la propriété intellectuelle
Dans le cadre du système européen actuel, les litiges en matière de brevet relèvent des tribunaux nationaux de chaque pays. La conférence inter-gouvernementale de juin 1999 avait reconnu le caractère inefficace d'une telle organisation sur un marché unique, notamment par la nécessité de saisir plusieurs tribunaux pour faire cesser une contrefaçon à l'échelle européenne et par le risque avéré de contrariété de décisions entre différents tribunaux. Les travaux menés à la suite de la conférence ont conduit à un projet d'accord sur la création d'une juridiction commune pour les litiges en matière de brevet européen. Ce projet d'accord est actuellement bloqué par une différence de vues entre la Commission et les Etats membres. La Commission préfère pousser son projet de brevet communautaire et la constitution d'une juridiction unique pour ce seul type de brevet en Europe, qui n'existera pas avant de longues années et qui, en tout état de cause, ne remplacera pas les brevets européens. Les entreprises soutiennent le principe du projet communautaire sur ce point, mais regrettent qu'il ne fournisse aucune solution pour les brevets européens. Par ailleurs, les conditions actuellement discutées pour la mise en place du système judiciaire communautaire comportent le risque majeur que son coût soit hors de portée pour la grande majorité des entreprises.
Aucun problème là-dessus tant que le brevet européen ou communautaire ne s'applique pas aux logiciels dont la « protection » fait partie du régime de droit d'auteur. Sur ce point, il faut de plus noter qu'une protection juridique du logiciel par le système de brevets amplifierait l'incertitude juridique : la protection par des brevets entrant en conflit et (remettant donc en cause la protection existante par les droits d'auteur http://beauprez.net/softpat/summary.html].
L'évolution technique et l'émergence de nouvelles technologies posent de nouveaux défis au système des brevets. Il n'y a là, à vrai dire, rien de très surprenant et chaque époque a connu des interrogations semblables depuis que le système existe. Il suffit d'évoquer les nombreux débats qui ont jalonné le siècle dernier pour les brevets de produits chimiques, d'abord, puis pour les brevets de médicaments. Les exigences du développement de la recherche et de l'innovation dans ces domaines ont eu raison de ces doutes et de ces interrogations. Aujourd'hui le même type de débats réapparaît à propos de deux nouveaux domaines de la technique où l'innovation galope : les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), avec le développement des innovations faisant appel aux logiciels, et les biotechnologies.
Il importe d'autant plus d'étudier les caractéristiques intrinsèques des innovation dans ces « domaines des technologies nouvelles » afin d'évaluer si la protection traditionnelle par des brevets s'y appliquent ou si au contraire celle-ci auraient ne remplirait plus dans ces domaines les objectifs qui la fondent : encourager l'inovation et la recherche dans un environnement concurrentiel.
D'ailleurs, le traitement de données, les logiciels, etc. ne sont pas des nouvelles techniques mais des nouvelles frontières du système de brevets et étaient des frontières longtemps interdites, pour de bonnes raisons.
cela fait plus de vingt ans que les offices de brevet ont développé une pratique interprétative des dispositions législatives sur le sujet. L'évolution des technologies nécessite aujourd'hui que la situation soit clarifiée pour éviter une confusion préjudiciable à la sécurité dont les entreprises ont besoin pour développer et protéger leurs innovations.
Tout à fait.
Les programmes d'ordinateur en tant que tels relèvent de la protection par le droit d'auteur et ne peuvent être brevetés.
Très bien, mais il faut alors garantir que ce ne soit pas le cas...
Certaines décisions d'offices de brevet ont pu jeter un doute sur ce point. Ce qui relève du brevet, c'est l'invention d'un nouveau procédé technique ou d'un produit industriel, même si leur mise en oeuvre fait appel à des moyens logiciels ou inclut un logiciel.
Dès lors, il importe de définir ce qu'est un procédé« technique ». La proposition amendée du Parlement européen s'y est employée en reprenant une définition communément admise dans la communauté scientifique (et réaffirmée par exemple dans une fameuse décision de la Cour fédérale des brevets allemande) : « Article 2b : L'utilisation des forces de la nature afin de contrôler des effets physiques au delà de la représentation numérique des informations appartient à un domaine technique. Le traitement, la manipulation et les présentations d'informations n'appartiennent pas à un domaine technique, même si des appareils techniques sont utilisés pour les effectuer ».
Si le Medef était sincère dans ses affirmations comme quoi les « programmes d'ordinateur en tant que tels relèvent de la protection par le droit d'auteur et ne peuvent être brevetés » et dans sa volonté de lever les ambiguïtés juridiques découlant des pratiques des offices de brevets, il devrait alors être complètement satisfait par cette définition rappelée par le Parlement européen. Le Conseil de l'UE ainsi que la Commission européenne ont prétendu défendre exactement les mêmes affirmations et objectifs et ont pourtant rejeté cet amendement du Parlement européen !
En revanche, la protection par brevet est et doit rester indépendante des modèles économiques sur lesquels repose la commercialisation des produits correspondants. Le modèle dit «propriétaire» et le modèle dit «libre» sont compatibles avec la protection de l'innovation par le brevet.
Il est surprenant de voir le Medef prendre position sur les logiciels libres. Cela tend à montrer que ce manifeste a été produit dans un effort pour influer sur les décisions en cours concernant la directive européenne sur les brevets logiciels.
Quoi qu'il en soit, cette affirmation est on ne peut plus erronée : le modèle « libre » est strictement incompatible avec la protection par le brevet. La liberté fondamentale sans laquelle un logiciel ne peut se prétendre « libre » est celle d'exécuter le programme, pour tous les usages. L'utilisation d'un logiciel encombré de brevets nécessite l'accord des détenteurs de ces brevets, l'utilisateur n'étant plus libre d'exécuter le logiciel comme il l'entend sans cette autorisation, le logiciel ne peut être qualifié de « libre ».
Certains économistes mettent par ailleurs en avant le risque que de trop nombreux brevets rendent excessivement onéreux les coûts de transaction associés au développement de nouveaux systèmes informatiques. Le risque évoqué ici est la constitution de «maquis de brevets» comme on en connaît dans d'autres domaines à forte composante brevet, comme l'électronique grand public ou les systèmes de télécommunications, des domaines où pourtant la concurrence est ouverte et vigoureuse. Les mécanismes régulateurs mis au point dans ces domaines à forte propension au brevet, accords de licence croisés, pools de brevets et processus de normalisation où les participants s'engagent à accorder des licences à des conditions raisonnables et non-discriminatoires, ont fait la preuve de leur efficacité. Mais, là comme ailleurs, il faut éviter les dérives vers une brevetabilité trop facilement admise et revenir à une appréciation rigoureuse du caractère innovant des inventions présentées.
Il s'agit exactement de la stratégie employée par Microsoft au sein du W3C, l'organisme de standardisation du Web, qui avec d'autres grands acteurs (Apple et Hewlett-Packard, principalement) avait tenté en 2001 de faire adopter une mesure permettant à des entreprises de breveter des technologies normalisées, puis de demander des royalties à quiconque voudra utiliser ces technologies via un programme de licences « sensées et non discriminatoires » (ou RAND pour « Reasonable and Nondiscriminatory »). Devant les vives protestations soulevées par cette mesure, le W3C a finalement décider d'exempter ses normes de royalties à reverser, Apple et HP s'étant de toute façon rétractés. La licence RAND aurait permis à son principal supporter, i.e. Microsoft, de se doter d'une arme capable d'enrayer la concurrence de plus en plus virulente des logiciels libres. On a pu voir avec l'affaire Eolas, que l'arme aurait pu se retourner contre le géant de l'informatique. Heureusement pour ce dernier, il dispose des moyens permettant de faire invalider le brevet que prétendait détenir Eolas. Une PME ou un programmeur indépendant n'auraient sans aucun doute pas eu la même chance.
On est en droit de se demander pourquoi le Medef aborde ces soit-disant « mécanismes régulateurs » alors qu'il vient d'affirmer que les programmes d'ordinateur relèvent de la protection par le droit d'auteur et ne peuvent être brevetés. Le même stratagème a été employé pour le « compromis » sur la proposition de directive de la présidence irlandaise, que la délégation française a approuvé : d'un côté, on prétend (article 4) que les programmes d'ordinateur ne sont pas brevetables et de l'autre, on autorise les revendications de programmes (article 5.2) qui autorisent la brevetabilité pure de tous les programmes d'ordinateurs. Il devient évident ici que le Medef tente d'induire en erreur les décideurs qui feraient confiance à son analyse, tout comme la Commission européenne a tenté de tromper les législateurs.
une directive européenne de 1998 semblait avoir fixé des règles claires et acceptées par tous. Elle exclut toute possibilité de breveter le corps humain ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments. En revanche, lorsqu'un procédé technique a été mis en oeuvre pour isoler et purifier la séquence totale ou partielle d'un gène et qu'une application industrielle de cette séquence a été exposée, on a affaire à une invention et non une simple découverte et l'accès au brevet est ouvert. En approuvant cette directive européenne, l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne a fait une stricte application des principes du système de brevet. L'innovateur qui met en oeuvre des moyens techniques pour faire progresser les connaissances humaines dans le domaine des thérapies a droit à obtenir un brevet sur son innovation. Sachant que les méthodes thérapeutiques ne sont en soi pas brevetables, il n'y a rien de contraire à l'éthique pour la société à récompenser celui qui lui a apporté cet enseignement. Il y a, en revanche, un intérêt essentiel pour la société à encourager la recherche dans ce domaine. Un autre débat concerne la portée qu'il faut accorder au brevet obtenu sur une séquence d'un gène (ADN) en tant que produit. Certains voudraient limiter cette portée à l'application thérapeutique indiquée au brevet. L'application des principes à la base du système des brevets conduit à une réponse plus nuancée. Si la séquence avait déjàété révélée, alors oui, la protection du brevet ne peut porter que sur la nouvelle application enseignée par le brevet. En revanche, si l'apport de l'innovateur consiste non seulement dans l'application mais d'abord et avant tout dans la révélation de la séquence isolée et purifiée, il a fait oeuvre de pionnier ouvrant la voie à toute une nouvelle voie de recherches : il est juste socialement et important économiquement de reconnaître une portée large à son brevet. Il n'y a pas à craindre de blocage de la recherche et de son exploitation en aval car le brevet n'interdit pas la recherche et les mécanismes de licences obligatoires d'exploitation inhérents au système des brevets mettent la société à l'abri de telles tentatives de blocage, au demeurant fort rares.
Bien qu'il ne nous appartienne pas de porter un jugement éclairé sur des brevets autres que logiciels, il faut souligner que les affirmations peu claires du Medef en ce qui concerne les brevets sur les biotechnologies sont fortement contestés. Les risques qu'ils posent tant pour la sécurité ou l'autosuffisance alimentaire, que pour l'appropriation du vivant ou l'accès aux médicaments et le développement de médicaments génériques conduisent pour le moins à bien réfléchir sur leurs implications, ce qui justifie le retard dans la ratification de la directive européenne de 1998. Loin de ne poser aucun problème éthique, comme l'affirme le Medef, ces risques sont parfaitement présentés dans l'article évoqué plus haut : « Les brevets tuent !».
De nombreuses études économiques publiées récemment mettent l'accent sur des dérives du système qui conduisent à la délivrance de brevets sans valeur ou de portée beaucoup trop large. La plupart des auteurs reconnaissent toutefois que ces dérives sont essentiellement perceptibles aux Etats-Unis et que l'Europe en est, au moins jusqu'à présent, relativement préservée. Il n'en demeure pas moins que l'Europe doit tirer les leçons de ce qui s'est passé aux Etats-Unis, où des mesures correctives sont maintenant à l'étude.
Effectivement, tant que le droit en Europe, conformément à la Convention sur le brevet européen, interdit la brevetabilité du logiciel, les dérives seront plus perceptibles au États-Unis. Pourtant, il est déjà possible de constater que parmis les dizaines de milliers de brevets logiciels accordés par l'OEB, les brevets triviaux ou de portée excessivement large sont d'ores et déjà nombreux (voir par exemple, les brevets menaçant toute ouverture d'une boutique web)et n'attendent plus qu'une légalisation pour être appliqués en Europe.
Que l'apparition de technologies radicalement nouvelles donne lieu à quelques hésitations de la part des offices de brevet n'a rien de surprenant. L'absence d'un corpus de référence et le temps nécessaire à l'acquisition des compétences techniques indispensables rendent difficile pendant une période la mission des offices. Dans de tels cas, très médiatisés mais en réalité fort rare dans l'ensemble de l'activité de l'Office européen des brevets, les remèdes se situent dans le recours à la procédure d'opposition et, in fine, dans l'appréciation de la validité du brevet par les tribunaux.
Remèdes malheureusement trop onéreux pour de simples PME, si bien qu'effectivement les cas où les tribunaux sont saisis sont rares, la plupart des litiges se réglant par des accords de licences croisées au bénéfice du détenteur du plus gros protefeuille de brevets.
Les véritables risques de dérive sont ailleurs. Le plus grand facteur de risque se trouve dans l'organisation financière du système européen des brevets, dont les projets actuels de création d'un brevet communautaire vont aggraver les défauts plutôt que les corriger. Le premier aspect de cette organisation financière est que le budget de fonctionnement de l'Office européen des brevets ne fait pas appel à l'argent public. La quasi totalité de ses ressources est constituée par les taxes payées par les déposants de brevets. Cette circonstance a amené le développement d'un concept de relation client fournisseur entre les déposants de brevets et l'Office européen des brevets, dans lequel l'office serait dans la position d'un fournisseur de services en faveur de ses clients, les déposants de brevets. Un tel concept, qui reproduit une approche mise en place aux Etats-Unis, fait totalement l'impasse sur la responsabilité de l'Office européen des brevets envers la société. Il est profondément dangereux car il peut amener à la formation d'un biais en faveur des déposants, la satisfaction du «client» reposant sur l'octroi du brevet plutôt que sur son rejet. Aujourd'hui, environ 65 % des demandes de brevet conduisent à la délivrance d'un brevet tandis que 15 % font l'objet d'un rejet, le reste étant constitué de demandes abandonnées en cours de procédure. On aimerait être sûr que les méthodes d'appréciation de la productivité des examinateurs tiennent autant compte des rejets qu'ils prononcent que des délivrances qu'ils accordent.
Nous sommes ici complètement d'accord pour affirmer que les dérives de l'Office européen des brevets sont davantage d'ordre structurel que conjoncturel. Ajoutons que les offices ont une obligation de rentabilité accentuant la recherche de recettes et donc l'acceptation de demandes de brevets. Qui plus est, le cursus standard d'un examinateur est de quitter au bout de quelques années l'office dont il était employé pour rejoindre un grand cabinet de conseil en propriété intellectuelle. Ce qui ne l'encouragera certainement pas à refuser une demande de brevet émanant d'un futur employeur potentiel...
Un deuxième aspect de l'organisation financière du système européen, qui risque de perdurer dans sa version communautaire, est que, si une partie des ressources de l'Office européen des brevets est liée au nombre de demandes de brevet déposées, une autre partie importante provient des taxes de maintien en vigueur des brevets délivrés. Ces taxes, qui sont payées aux offices nationaux de brevets, font l'objet d'une réversion à 50 % à l'Office européen des brevets. Ce système est une évidente incitation à ce que le maximum de brevets soient délivrés puisque tant l'Office européen des brevets que les offices nationaux (et, à travers eux, les budgets des Etats) y trouvent un avantage financier. Là encore, la société risque de ne pas y trouver son compte en termes de qualité des brevets délivrés.
La qualité du travail d'examen des demandes de brevet fait par les examinateurs de l'Office européen des brevets, au-delà des difficultés passagères liées à l'apparition de technologies nouvelles dont il a été traité plus haut, est globalement très nettement supérieure à celle de tout autre office de brevet aujourd'hui. Mais il est clair que l'accroissement continu du nombre de demandes de brevet déposées chaque année soulève un problème de ressources. L'Office européen des brevets a déjà dû renoncer à sa politique de baisse des taxes de procédure, pourtant bien nécessaire pour accroître l'accessibilité du système et pour rapprocher le coût du brevet européen de celui du brevet américain ou même du brevet japonais. Ceux qui s'en réjouissent parce qu'un brevet cher dissuadera les déposants font une grave erreur. Un brevet cher nuit en priorité aux PME européennes et le déficit de l'Europe en termes de dépôts de brevets ira en s'aggravant. Le moment est venu de réexaminer la répartition du produit des taxes versées par les déposants de brevets afin que l'Office européen des brevets dispose des ressources nécessaires pour maintenir à un haut niveau les procédures d'examen et de délivrance dont il a la responsabilité.
Nous encourageons effectivement une réflexion sur les moyens de financer les offices des brevets afin que ceux-ci remplissent leur mission qui doit être avant tout de favoriser la recherche et l'innovation pour le bénéfice de la société et non comme le stipule l'article L411-1 du Code de la propriété intellectuelle « de prendre toute initiative en vue d'une adaptation permanente du droit national et international aux besoins des innovateurs et des entreprises ».
Par ailleurs, en matière de brevets logiciels, il est inexact de dire que la qualité doûteuse des demandes acceptées est dûe à« l'apparition de technologies nouvelles ». La nature intrinsèque du logiciel (innovation itérative et cumulative, bien informationnel non excluant et non rival, cycle de vie extrêmement court, un seul logiciel est constitué de milliers d'innovations, etc.) fait que de toute façon et quelque soit le mode de fonctionnement des offices de brevets, on ne pourrait garantir la qualité d'un brevet logiciel.
En ce qui concerne les brevets logiciels, ce « manifeste » du Medef prétend :
Ces mesures ne sont pas sans rappeler les explications données par les Ministres français immédiatement après la décision du Conseil des ministres du 18 mai 2004 qui avait annulé les limites que le Parlement Européen avait imposées à la brevetabilité des logiciels. Mme Haigneré, Ministre déléguée aux affaires européennes et Mr Devedjian, Ministre délégué à l?Industrie avaient alors publié un communiqué de presse confus essayant de justifier leur adhésion à cette décision.
Or cette position n'est pas étonnante de la part des « experts en brevets » du MEDEF qui ont rédigé ce manifeste. En effet, ceux-ci sont de longue date de fervents défenseurs des brevets logiciels :
On retrouve ces deux auteurs derrière toute la propagande pro-brevets logiciels en France. Leurs précédentes prises de position prouvent qu'ils savent parfaitement ce qu'ils veulent : une brevetabilité illimitée du logiciel. Le fait qu'ils prétendent ne pas vouloir breveter les logiciels en tant que tels mais seulement « les inventions mises en oeuvre par un programme d'ordinateur » est le stratagème habituel de ceux pour qui cette novlangue désigne en fait tout logiciel exécuté sur un ordinateur, c'est-à-dire tous les logiciels.
Le fait qu'ils fassent étrangement référence au logiciel libre dans un document du Medef, tout comme les ministres français, tend à montrer qu'ils agissent volontairement pour orienter les décideurs maintenant quant à la directive « brevets logiciels ».
On est en droit de se demander si cette belle supercherie, dont les auteurs sont coutumiers, n'a pas directement influencé le vote de la délégation française au Conseil des ministres du 18 mai 2004, acceptant le « compromis » de la Présidence irlandaise et de la Commission européenne satisfaisant ainsi les intérêts des cabinets en propriété industrielle des grandes entreprises, mais également les membres de l'INPI, dont on sait que les administrateurs siègent au Groupe de travail sur la Propriété intellectuelle du Conseil qui a préparé la proposition de « compromis ».
Il importe que les responsables d'entreprises informatiques ne se laissent pas abuser par cette position mais suivent plutôt les experts de leur domaines, tels la CEA-PME, Confédération européenne des associations de petites et moyennes entreprises, ou Object Web, Consortium pour une architecture d'intergiciels libres, comptant parmis ses membres de grandes entreprises, qui ont tous deux signé récemment un Appel urgent aux gouvernements et parlements nationaux.
Récemment, le Parlement néerlandais a déjugé le vote de son Ministre au Conseil du 18 mai 2004. La FFII appelle les députés français à faire de même pour ne pas laisser la démocratie et l'industrie informatique françaises aux mains des seuls qui ont un intérêt à ce que la brevetabilité soit étendue à tous les logiciels.
Note d'un lecteur qui a consulté ce site un peu par hasard:
J'ai le droit d'éditer ce texte ? Je ne crois pas qu'un brevet soit nécessaire pour sécuriser un site Web . Il est surprenant que n'importe quel internaute puisse modifier ce texte !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! En espérant que le problème soit corrigé avant que quelqu'un en fasse mauvais usage.
JMCh
Oui tu as le droit de modifier ce texte. À ma connaissance, il n'y a pas de brevets logiciels sur un procédé d'écriture de pages web collaboratives mais tu peux toujours chercher dans les bases de l'EPO... Non ce n'est pas surprenant, il s'agit d'une page "de travail", destinée àêtre enrichie par des remarques pertinentes (par ex. comme je viens de le faire, de corriger tes fautes d'orthographe). Bien entendu, les différentes versions de cette page sont sauvegardées, on peut donc facilement effacer les "mauvais usages". (Qui plus est lorsque je suis le principal contributeur à une page de ce site, un mirror est disponible sur mon site perso, ici http://gibuskro.lautre.net/informatology/ffii/Medef040629Fr.html) Ce n'est donc pas un problème mais une volonté d'ouverture délibérée :-)