Le problème avec les revendications de programmes
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Extrait d'un article de l'Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII) : URL originale

La proposition faite par la présidence irlandaise du Condeil de l'Union européenne concenant la directive sur les "inventions mises en oeuvres par ordinateur" est la version la plus extrêmement pro-brevets logiciels. Une des raisons majeures de ce caractère extrêmiste est qu'elle autorise les revendications de programmes. Alors que le Conseil de l'UE et la Commission européenne prétende vouloir interdire les brevets sur les logiciels purs, la possibilité de revendiquer des programmes contredit cette bonne intention. Cet article explicite les problèmes qu'introduisent les revendications de programmes.

Les deux parties les plus importantes dans un brevet sont la description et les revendications. La description décrit (!) simplement l'invention que vous pensez avoir faite. Si cette invention décrite passe tout les tests de brevetabilité, vous pouvez obtenir un certain nombre de monopoles. Ces monopoles sont décrit dans les revendications (ainsi "revendication" = "monopole").

Ces revendications doivent se baser sur votre invention mais peuvent être plus étendues, plus génériques que l'invention elle-même (sinon quelqu'un pourrait contourner votre monopole en changeant un petit détail de votre invention). En ce qui concerne les revendications de programmes, ceci permet aux gens d'obtenir, entre autres, des classes de programmes d'ordinateur. C'est même encore vrai si l'on s'assure que les programmes d'ordinateurs ne peuvent être conformes aux tests de brevetabilité.

Article 5.2 :

"Une revendication pour un programme d'ordinateur, seul ou sur support, n'est autorisée que si ce programme, lorsqu'il est chargé et exécuté dans un ordinateur, un réseau informatique programmé ou un autre appareil programmable, met en oeuvre un produit ou un procédé revendiqué dans la même demande de brevet, conformément au paragraphe 1."

Si l'on récrit l'article 5.2 de la proposition du conseil sans la double négation, on obtient :

Une revendication pour un programme d'ordinateur seul est autorisée si ce programme, lorsqu'il est exécuté dans un ordinateur, met en oeuvre un produit ou un procédé revendiqué ailleurs dans le même brevet.

Un exemple concret : imaginez que vous ayez inventé une nouvelle réaction chimique en mélangeant un élément A et un élément B, puis en attendant 5 minutes avant d'ajouter un élément C. Si les revendications de programmes sont autorisées, alors en vous appuyant sur cette invention (réelle), vous pouvez demander un monopole sur "un programme d'ordinateur qui mélange deux choses, attends un peu et ajoute une autre chose" ("un peu" au lieu de "5 minutes" car, comme mentionné ci-dessus, les revendications peuvent toujours être plus générales que l'invention elle-même).

La raison en est qu'un programme d'ordinateur ne sait rien des substances chimiques : un programme d'ordinateur, qui est utilisé pour contrôler la machinerie employée pour réaliser la réaction chimique, peut très bien être utilisé tel quel dans une machine à fabriquer le pain et travailler alors sur de la farine, de l'eau et du levain au lieu des éléments A, B et C. Dans une aciérie, il pourrait s'occuper de minerai, de charbon et d'eau...

Ceci est dû au fait qu'un programme d'ordinateur ne peut travailler en interne que sur des nombres. Ce que ces nombres représentent, d'autres s'en soucient. Un monopole sur un "programme d'ordinateur seul" autorise cependant l'inventeur à écarter ces "autres", ce qui signifie qu'il ne vous reste que des monopolisations de quelques calculs sur un ordinateur. Même l'exécution d'un tel programme sur un ordinateur, sans aucun équipement externe, sera considérée comme une infraction à une telle revendication de programme.

En tant que telles, les revendications de programmes permettent des monopoles de brevets sur des principes et des méthodes génériques exécutés sur des ordinateurs, même si vous vous assurez que les programmes d'ordinateurs eux-mêmes ne peuvent jamais remplir les conditions pour la brevetabilité. Remarquez bien qu'il ne s'agit pas seulement d'un monopole sur le programme, tel qu'écrit par le détenteur du brevet (qui est couvert par le droit d'auteur), c'est un monopole sur tous les programmes réalisant les étapes revendiquées (quelque soit la manière dont ils sont écrits).

Ceci provient du même article 5.2 :

Une revendication pour un programme d'ordinateur, seul ou sur support, [est autorisée si...]

Cela signifie que vous avez reçu un monopole sur un programme d'ordinateur (seul ou sur support). Lorsqu'un programme d'ordinateur est par exemple mis sur un site web, il est alors présent sur un support (magnétique) chez l'hébergeur internet. En fait, un programme d'ordinateur est toujours présent sur un support, vous ne pouvez pas stocker un programme d'ordinateur sur "rien du tout" (et même si c'était le cas, le fait est que le le monopole est également accordé sur le programme d'ordinateur "seul").

La conséquence de ceci est que la simple publication d'un tel programme constitue une infraction au brevet, au lieu que ce ne soit le cas que pour son utilisation : après tout, vous avez placé le programme sur un support et autorisé sa distribution, alors que le détenteur du brevet possède un monopole sur cette action et ce type de programme.

Cela va également à l'encontre des principes de base des brevets. Après tout, l'intention présidant à la mise en place du système de brevets est précisément la publication de l'information, en promettant à l'inventeur un monopole sur l'utilisation de l'invention décrite dans cette information.

Les revendications de programmes accordent cependant un monopole sur cette même information qui est censée être donnée au public, ce qui bloque le système tout entier. C'est la même chose que si lorsque quelqu'un brevètait un nouveau moteur, il obtenait également un monopole sur tous les manuels décrivant les mécanismes internes de ce moteur. Après tout, un programme d'ordinateur n'est rien d'autre qu'une description (mathématique) de quelque chose, dans un format compréhensible par un ordinateur.

Une conséquence pratique est qu'un hébergeur internet dont un client offre un programme (en infraction avec un brevet) à télécharger, peut être poursuivi sur la base d'une "complicité à une infraction" : après tout, il facilite la publication du programme, ce qui est interdit.

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